Kashmir (Led Zeppelin)

Led Zeppelin. La trame sonore des étés de ma jeunesse. Quand on était ado dans les années 1970 et qu’on passait les étés à rien faire. À chiller ou à véger, comme on dirait aujourd’hui. Pas de camp de jour. Pas d’activités planifiées pendant trois semaines de vacances avec papa maman ou en famille reconstituée. Réinventer la vie et refaire le monde chaque jour, sans plan ni idées préconçues.

Kashmir. Un goût de soleil, de chlore de piscine et d’été interminable. Un goût d’interdit et de découverte aussi. Un goût d’éternité et d’invicibilité surtout. Kashmir, c’était avant que la mort existe pour vrai. Quand elle n’existait qu’à la télévision. Quand on avait toute la vie devant soi et qu’on ne serait jamais vieux.

Enjoy!, comme disent les anglos.

L’escouade de l’immortalité (partie 2 : confirmé) (Robert Hamel)

L’escouade de l’immortalité

Partie 2 : confirmé

c’est un poète
un poète confirmé
un poète réputé
c’est un poète respecté de ses pairs
un poète qui se perd
c’est un poète adulé
un poète acidulé

il écrit les amours carnivores
et les amants cannibales
les désespoirs lucides et translucides
les silences lacérés
les passions avortées
les vérités voraces et vénimeuses
les souvenirs ventriloques
le vent des mémoires violées
les cauchemars éveillés
les visages balafrés du couteau de la vie
les espoirs en stand-by
les vies mortes
et les morts vivantes

il enfante les mots des rocks stars
des chantres de l’amour formaté fm
et de l’anticonformisme bécébégé
sa plume est une bombe à neurones
ses mots des ogives
son verbe un lance-flamme
son art du napalm

le poète confirmé carbure à l’absolu
il connaît les mots globules et les mots globines
chaque fois qu’il écrit
il écrit le respect qu’il commande
chaque fois qu’il parle
la foule entend l’admiration qu’elle lui voue
chaque fois qu’il se tait
l’écho propage sa prose
ses strophes vous apostrophent
vous appellent
vous interpellent
et vous anéantissent
de leur puissance contenue et maîtrisée

c’est un poète confirmé
un poète maudit
un poète taudis
un poète qui a tout dit
un poète toxique
un terroriste du verbe
un Che Guevara des mots

on ne sait s’il entretient l’image du poète alcoolo
ou si l’image lui appartient
on l’imagine poète monstre
poète tsunami
poète insomniaque vivant sa rage d’écrire
dans l’œil de la nuit indigo
un stylo d’une main
une bouteille de rouge de l’autre
sur la table un cendrier rempli
des botchs de son angoisse

on l’imagine homme à femme et bête de sexe
son phallus insatiable crachant se semence de vie
au rythme infernal de sa poésie
à la fois sacrée et maudite
on l’imagine dans une chambre crade et minuscule
décorée des murs jaunis de la pauvreté
où il écrit en trombe
pour ne pas que le temps le trompe
où il écrit à tue-tête
pour ne pas que le temps le tue
il est membre de l’escouade de l’immoralité
et il rêve à l’escouade de l’immortalité

on l’image aux bras de femmes pulpeuses
à la bouche de gouffre
aux seins de vertige
et à la vulve d’abysse
on l’imagine et on a tout faux
on l’imagine et on a tout vrai
le poète confirmé est tatoué de ses émotions
il hurle sa douleur à la lune funambule et nue
il engourdit le mal-être qui accompagne son statut
à grands cris d’amour dans la nuit vierge et glaciale
telles sont les exigences du mythe

c’est un poète confirmé
un homme de lettres
un homme à prendre au contre-pied de la lettre
il a tous les torts et il a raison
il habite la campagne et la ville l’habite
il habite la campagne
et le désir habite sa bite
son membre est membre de l’escouade de l’immoralité
et rêve à l’escouade de l’immortalité

c’est un poète à la tête pleine et au ventre creux
il sait que nul n’est poète en son pays
il sait que si on l’affame
c’est pour mieux lui enlever les mots de la bouche
la poésie est une maîtresse exigeante
la poésie est immatérielle
la poésie est hypocalorique
elle gave l’esprit
le cœur et l’âme
mais ne nourrit pas la chair
le poète confirmé est à la diète
mais il a l’âme gourmande
il dévore la vie avant qu’elle ne le dévore

— Robert Hamel, L’escouade de l’immortalité, partie 2 : confirmé, Les souvenirs ventriloques, Les Éditions de l’étoile de mer, © juin 2013.

L’escouade de l’immortalité – partie 1 : disparu (Robert Hamel)

L’escouade de l’immortalité

Partie 1 : disparu

c’est un poète
c’est un poète disparu
un poète engagé
un poète enragé
un poète grand
un poète monument
un poète sacrement
il n’a pourtant jamais cru être porteur de poésie
il a toujours entretenu ce précieux doute
qui lui permettait de continuer à écrire
qui lui permettait d’être

sa poésie est fleuve
sa poésie est forêt boréale
sa poésie est rivière déchaînée
sa poésie est rafales
sa poésie est tourmente
sa poésie est insurrection
sa poésie est le pays mort-né
que nous n’avons pas su rêver
l’état d’urgence que commandent
nos existences mièvres
l’appel à la vie que nos cœurs
sourds d’espoirs et muets d’ambitions
ne savent entendre et dire

c’est un poète disparu
un poète endimanché
un poète dépareillé
un poète rapaillé
il a écrit au rythme du cœur du terroir
il a grandi à flanc de montagne
il a dormi dans le lit des rivières
il a occupé le territoire
il a mieux écrit qu’un peuple entier
il a mieux dit que tous réunis
il a marché à l’amour
il a écrit à la vie
à la mort

on l’a emprisonné
pour crime d’opinion et de conviction
pour cause de génie et de talent
et il s’en est allé
sans faire de vagues
sans faire de bruit
ce jour-là
il nous a tous bernés
ce jour-là
les drapeaux du pays ont pleuré
et depuis sa fin
nous l’avons trop peu lu
et bien trop oublié

Robert Hamel, L’escouade de l’immortalité – partie 1 : disparu, Les souvenirs ventriloques,  © Les Éditions de l’étoile de mer, juin 2013.

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L’ébène et la bête (Robert Hamel)

Crédit photo : François Benveniste. Modèle : Lionness (www.lionness2.book.fr.)

Crédit photo : François Benveniste. Modèle : Lionness (www.lionness2.book.fr.)

L’ébène et la bête
Mozambique Palace
Elle est entrée dans la place
Au même moment
Qu’un vieux Blanc
Je me suis entendu penser :
Quel dommage!
Heureusement
Ils n’étaient pas ensemble
Elle avait la peau d’une panthère
Des yeux inflammables
Un sourire à liquéfier les pierres
Une chute de rein
À faire bander un mort
Et de toute évidence
Un cœur pyromane
Elle s’est avancée vers moi
M’a dit qu’elle avait soif
Et m’a tapé un clin d’œil
Carnassier

Quelques verres plus tard
Je suis entré en elle
Comme on entre en religion :
En laissant tout derrière soi
Mais auparavant
Je me suis longtemps prosterné
Devant le dieu Clitoris
J’ai savouré le fruit sacré
Au délicat parfum de lychee
D’arc-en-ciel
De rosée matinale
Et de pleine lune entremêlés
Je n’avais de cesse
De lécher la mystérieuse beauté
De mon amante religieuse
Sous le ciel étoilé
Tandis que ses vocalises amoureuses
Rythmaient notre ballet charnel
Embrasaient la nuit africaine
Et fracassaient l’horizon
Nous nous sommes
Cent fois perdus
Dans l’obscurité opaque
Du continent noir
Pour mieux nous retrouver
Et nous perdre
Encore

Aux premières lueurs de l’aube
J’étais seul
Avec
Pour toute compagne
Une bouteille de Jack Daniel’s
Presque vide
J’avais un mal de bloc
À se flamber la cervelle
Avais-je rêvé
Ou rêvais-je encore?
Où diable était passé
L’objet de mes noirs désirs?
Où se trouvait ma belle d’ébène?
Pourtant
Sur mes lèvres
Persistaient
Les accents de savane
De son sexe incendiaire

Je cherchais
Le numéro de Tommy
Le roi de la filature
Sur mon portable
Quand je suis tombé
Sur une nouvelle fiche
Dans mes contacts
« Ta princesse nubienne »
Sous son nom se trouvait
The number of the beast
Ange ou démon?
Enfer ou paradis?
Il n’y avait
Qu’une façon de savoir
Et j’allais savoir…

À mes risques et périls.

— Robert Hamel, © juillet 2014.