Rambo

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13307252_1067094796647194_6008950600221974629_nPascale Cormier est écrivaine et traductrice. Depuis 2014, elle a publié quatre œuvres littéraires : trois recueils de poésie (La fille prodigue, 27 variations sur le thème du désir et Une cathédrale de chair) ainsi qu’un récit (Cendrier) aux Éditions de l’étoile de mer. Le texte ci-dessous a d’abord été publié sur la page Facebook de l’auteure.

Qui se souvient de la série de longs-métrages mettant en scène le personnage de Rambo, interprété par Sylvester Stallone? Si les trois derniers films de la série peuvent être vus comme de médiocres glorifications de la puissance américaine, le premier était tout différent. Soldat démobilisé et désabusé de la guerre du Vietnam, sacrifié par une bureaucratie cynique qui se soucie du sort des vétérans comme d’une guigne, Rambo, dont l’armée a fait une véritable machine à tuer, se révolte et en vient à détruire une petite ville, se retournant contre ceux qui l’ont délibérément sacrifié et n’ont jamais voulu l’entendre.

Depuis que le célèbre Bernard «Rambo» Gauthier a annoncé qu’il faisait le saut en politique, j’en vois beaucoup se gausser de ce personnage mal dégrossi qui tient un discours confus et vaguement xénophobe. Cela n’est pas sans rappeler l’annonce de la candidature de Donald Trump à l’investiture républicaine, qui a fait les gorges chaudes à l’époque. À gauche comme à droite, toute la classe politique, et tout ce que l’Amérique compte de citoyens éduqués et «engagés », a jugé risible l’irruption de ce trublion dans l’arène politique américaine, et personne ne lui accordait l’ombre d’une chance de se rendre à la Maison Blanche. On connaît la suite…

Si nous voulons freiner la montée de l’extrême-droite en Occident, il est urgent de tirer les leçons de l’élection de Donald Trump, sous peine de voir se multiplier les phénomènes du genre. Malgré tout ce que son discours peut avoir de rebutant, notre «Rambo» national met en évidence des problèmes bien réels qu’on aurait tort de prendre à la légère. Quoi qu’on puisse penser de lui par ailleurs, Monsieur Gauthier n’a pas tort d’affirmer que de plus en plus de Québécois sont «écœurés d’être écœurés». On peut juger excessive son affirmation selon laquelle nous sommes «au bord de la guerre civile», mais il est certain que de dangereux clivages sont en train de s’installer au sein la population, et que ça n’augure rien de bon pour l’avenir.

Donald Trump a été porté au pouvoir, d’abord et avant tout, par les régions déshéritées des États-Unis, véritables zones sinistrées de la mondialisation des marchés et de la désindustrialisation qui en a découlé. Il n’a pas été élu par la riche Californie, ni par l’ultra-moderne New York, la politicienne Washington ou les villes universitaires de l’Ivy League. Il a été élu par les laissés-pour-compte, les hillbillies méprisés, les cols bleus humiliés, la classe moyenne à bout de souffle – toute une Amérique depuis trop longtemps abandonnée par une classe politique affairiste et cynique et, plus encore, par des élites intellectuelles condescendantes dont les discours n’arrivent plus à rejoindre la population.

Bien sûr, «Rambo» Gauthier n’est pas Donald Trump : ce dernier est un milliardaire, magnat de l’immobilier, doublé d’une star de téléréalité, qui appartient donc à la fois à l’élite financière et à celle des médias, bien qu’il se soit présenté comme le candidat «anti-establishment». Tout le génie du personnage consiste à avoir pu faire avaler cette énorme couleuvre à l’électorat. C’est dire qu’un grand nombre d’électeurs américains étaient, eux aussi, «écœurés d’être écœurés», au point de s’en remettre au premier venu qui leur promettait de donner un grand coup de balai dans ces élites arrogantes, indifférentes aux problèmes et aux préoccupations des «gens ordinaires».

Notre «Rambo» national, lui, s’est fait connaître comme goon de la FTQ sur les chantiers de la Côte Nord, intimidant les travailleurs venus d’ailleurs – dont on considérait, à tort ou à raison, qu’ils «volaient» des emplois aux travailleurs locaux – ainsi que les entrepreneurs réfractaires aux règles syndicales. Les grands médias l’ont présenté comme une sombre brute mais, curieusement, la plupart des gens de sa région ont plutôt vu en lui une sorte de héros local. Seul contre tous, à la manière du Rambo cinématographique, il se battait bec et ongles pour les «gens ordinaires» contre une bureaucratie omnipotente et sans âme, et une classe affairiste véreuse et méprisante.

Contrairement à Trump qui, nonobstant son protectionnisme affirmé, penche très nettement du côté du néolibéralisme le plus extrême, d’inspiration libertarienne – moins d’État, moins de règles, moins de syndicats, tout pour le profit – les positions de «Rambo» Gauthier sont plus ambiguës, son passé syndical l’identifiant plutôt à gauche tandis que certaines de ses déclarations, notamment sur l’immigration, l’apparentent davantage à une droite identitaire intransigeante – et assez peu ragoûtante, vue de la cosmopolite et moderne Montréal.

Néanmoins, on aurait grand tort de balayer son discours du revers de la main. Ce que «Rambo» Gauthier exprime, de façon plus ou moins maladroite, c’est un immense ras-le-bol de nos concitoyens des «régions», et de tous ceux qu’on abandonne à leur sort et qu’on refuse d’entendre en discréditant par avance leurs propos, sous prétexte qu’ils ne sont pas conformes à ce qui est jugé «acceptable» par les élites intellectuelles, politiques et médiatiques. Nous sommes pareils à la proverbiale autruche qui, face au danger qui approche, s’enfouit la tête dans le sable dans le vain espoir que la menace va disparaître d’elle-même si elle cesse de la regarder.

Ce que «Rambo» Gauthier exprime, de façon plus ou moins maladroite, c’est un immense ras-le-bol de nos concitoyens des «régions», et de tous ceux qu’on abandonne à leur sort et qu’on refuse d’entendre en discréditant par avance leurs propos, sous prétexte qu’ils ne sont pas conformes à ce qui est jugé «acceptable» par les élites intellectuelles, politiques et médiatiques.

Bien entendu, les immigrants ne sont pas responsables du malaise des régions, ni d’une exclusion sociale dont ils font eux-mêmes les frais plus souvent qu’à leur tour. Mais toute l’histoire de l’humanité témoigne de ce qu’en période de crise, les populations tendent à chercher des boucs émissaires, et ceux qui les manipulent leur en fournissent complaisamment : c’est ce qu’on appelle de la «wedge politics», de la diversion pour rejeter sur un groupe facilement identifiable la légitime colère du peuple envers ses exploiteurs.

Depuis que nos deux référendums ratés ont sonné le glas de la Révolution tranquille au Québec, nous avons été abominablement trahis par une classe politique affairiste, cynique et méprisante, qui s’est mise ouvertement au service du grand capital contre les intérêts de la population. Nos régions sont exsangues, aux prises avec un chômage endémique et un désespoir grandissant. Or, tout ce que nos brillants politiciens ont trouvé pour «revitaliser» ces véritables zones sinistrées, c’est de saccager leur environnement à coups de pipelines et d’exploitations gazières qui empoisonnent la nappe phréatique en créant très peu d’emplois, ou de saupoudrer quelques projets pharaoniques voués à l’échec, comme cette ridicule cimenterie de Port-Daniel qui a engouffré en pure perte des centaines de millions de dollars de fonds publics.

On a modifié les règles de l’assurance-chômage pour en exclure les travailleurs saisonniers, sabré dans les subventions aux coopératives et aux petites entreprises, forcé les agriculteurs à céder leurs terres à des géants de l’agroalimentaire, et tout misé sur le développement des villes en favorisant les promoteurs immobiliers. Et chaque fois que nos concitoyens des «régions» tentent d’exprimer leur inquiétude en se demandant pourquoi on fait tant de cas de l’immigration tout en se souciant si peu de leurs propres malheurs, nous, du haut de nos tours d’ivoire intellectuelles et de notre arrogance de citadins, les traitons de racistes et nous payons méchamment leur tête. Et on s’étonne, ensuite, de ce que Montréal ait si mauvaise réputation en province, ou qu’on se méfie tant des intellectuels en dehors de la métropole!

Certes, les immigrants ne sont pas en cause dans le déclin des régions ni dans le drame des inégalités qui n’en finissent plus de s’aggraver. Néanmoins, est-on bien certain de faire tout ce qu’il faut pour intégrer les néo-Québécois à notre société si «inclusive»? Le gouvernement Couillard – peut-être le pire de l’histoire du Québec – vient encore de sabrer dans les programmes de francisation des nouveaux arrivants. Les politiques communautaristes d’Ottawa, qui favorisent bien plus la ghettoïsation que l’intégration, combinées aux politiques d’austérité de Québec, qui privent de ressources et de débouchés non seulement les immigrants mais l’ensemble de la société civile, représentent un cocktail explosif qui met notre tissu social en danger.

Nous pouvons juger risibles les maladresses et les contradictions du discours de «Rambo» Gauthier, mais nous avons le devoir d’y tendre l’oreille, par-delà tout ce qu’il peut avoir de rebutant. Autrement, nous ouvrirons la porte à un futur Trump québécois – un démagogue qui, demain, deviendra le fossoyeur des valeurs qui nous sont les plus chères, parce que nous n’aurons pas su les défendre ni, surtout, prendre soin des plus vulnérables d’entre nous. Par-delà le caractère fantasque et peu amène du personnage, c’est aujourd’hui que nous devons entendre son appel au secours.

© Pascale Cormier, le 9 décembre 2016

Gabrielle Tremblay, le coup de coeur 2015 de Lune funambule

Gabrielle Tremblay, auteure de Le ventre des volcans et protagoniste de Broadway brûle.

Gabrielle Tremblay

J’ai le bonheur de commencer l’année 2016 de Lune funambule avec mon coup de cœur poétique 2015 : Gabrielle Tremblay, auteure de Le ventre des volcans (Éditions de l’étoile de mer, 2015) ainsi que protagoniste et assistante à la réalisation (entre autres titres) de Broadway brûle, une réalisation de Nicolas Fiset.

Le ventre des volcans, une crise identitaire tout en poésie

Bien que Gabrielle Tremblay ait commencé à écrire Le ventre des volcans avant même d’en tracer les premiers jets, ce recueil est le fruit de plus de cinq années d’écriture et de réécriture. Comprendre l’amour, aimer au-delà de l’amour, voilà des mystères que tente d’élucider cet ouvrage.

Ce recueil est un portrait intimiste des luttes universelles : s’affranchir des angoisses quotidiennes, composer avec ses obsessions, survivre aux chutes pour mieux se relever dans la droiture du jour qui s’éveille, vivre sa vie de la façon la plus honnête possible.

L’auteure aborde dans cet ouvrage des thèmes lourds avec une sensibilité déconcertante et une vulnérabilité palpable, névrotique.

Quelques mots sur l’auteure

Gabrielle Tremblay est une habituée des soirées du Tremplin d’actualisation de poésie (TAP) animées par André Marceau à Québec, et de plusieurs autres événements de la scène québécoise (spectacles-bénéfices ou autres). Le cinéma, la littérature et la musique teintent sa prose depuis la fin de l’adolescence.

Participer à divers courts-métrages en tant qu’actrice et s’adonner à la photographie en tant que modèle représentent pour elle des façons palpitantes de célébrer sa féminité, son identité.

Ayant assumé sa transsexualité à l’âge de 21 ans, Gabrielle peut enfin donner une voix plus juste aux luttes qui la tourmentent et aux espérances qui l’habitent. Le ventre des volcans est son premier ouvrage de poésie publié.